Les évolutions de nos sociétés modernes nous conduisent de plus en plus vers une organisation en réseaux, y compris dans les domaines conjugués du patrimoine de la ville et des territoires.
Dès la toute fin du XXème siècle, la célèbre philosophe de l'urbanisme Françoise Choay prévoyait de profonds changements en matière d'aménagement des territoires. Elle annonçait, pour le XXIème siècle, de nouvelles façons de concevoir l'aménagement en phase avec le développement considérable des réseaux informatiques. Nous nous engageons “dans l’ère de l’aménagement réticulé”, disait-elle, c'est-à-dire dans l'ère de l'aménagement en réseau des territoires et des lieux. L'image allégorique d'un gros poisson - figurant une métropole- et d'un banc de petits poissons -représentant des petites villes en réseau- de même dimension voire plus large, illustre à la fois la force, la souplesse et la fluidité que permet l'organisation en réseau.
Organisées en réseaux, les petites villes donnent à leurs actions plus d’ampleur et de visibilité. Pont-Croix fait partie de celles qui orientent, par leurs initiatives originales, les évolutions de réseaux de villes ou de territoires.
Pont-Croix est une petite ville bretonne de 1 580 habitants, dans un bassin de vie de 21 300 habitants, éloignée des grands centres urbains, à l’extrémité de l’Europe. Elle fut la capitale d’un ancien pays breton, nommé le Cap Sizun, dont les origines connues remontent à l’âge du fer (-1000/-50). Pont-Croix bénéficie d’un patrimoine culturel important, mais aussi d’un site naturel exceptionnel le long de la rivière Le Goyen, à proximité de la mer.
Benoît Lauriou, maire depuis 2014, a mené plusieurs actions exemplaires ayant pour objectif de rendre sa petite commune plus attractive et plus vivante. L’idée qu’une petite commune isolée ne peut pas se revitaliser seule a été fondamentale. Sa mise en valeur doit passer par des alliances avec d’autres, au sein de réseaux. Des alliances ont donc été recherchées avec des communes proches, pour mieux s’affirmer dans l’environnement immédiat, notamment au sein de la communauté de communes, à travers différentes échelles de planification, le plan local d’urbanisme, le schéma de cohérence territoriale.
Pont-Croix est allé bien au-delà, au niveau du département, de la région et de la nation. Tout d’abord, le maire joue un rôle moteur dans l’association des Petites Cités de Caractère de la région Bretagne, à l’origine de l’association des Petites Cités de Caractère de France qui fédère les différents réseaux régionaux autour d’un même objectif, la préservation des patrimoines comme levier de développement du territoire.
En 1975, le premier réseau des Petites Cités de Caractère fut créé dans la région Bretagne. Il est à l’origine d’un ensemble de trois réseaux, développés depuis sous l’intitulé commun des Cités d’Art de Bretagne : les Villes historiques, les Petites Cités de Caractère, et les Communes du patrimoine rural. Cet ensemble de réseaux correspond à trois échelles urbaines dans la région Bretagne, qui est la seule en France à avoir un tel dispositif.
Chacun de ces réseaux constitue une branche d’une même famille patrimoniale, qui organise régulièrement des manifestations, des réunions, des groupes de travail par thèmes ; tous utilisent les réseaux sociaux pour commenter et informer les actions menées. Les trois réseaux se regroupent aussi pour mener des actions communes.
Des trois réseaux, celui des Petites Cités de Caractère est le seul à avoir généré une association nationale, qui étend progressivement son impact depuis 2009, dans toutes les régions de France. L’association des Petites Cités de Caractère de France mène des réflexions et des actions au niveau national, comme la création d'un guide technique pour les responsables politiques locaux ou l'organisation d'un colloque sur la « Valeur du patrimoine culturel pour la société », en référence à la convention de Faro, adoptée par le Conseil de l'Europe en 2005.
Pont-Croix et la région du Cap Sizun, dont la ville fut la capitale historique, sont inscrites dans d’autres réseaux, comme celui des Grands Sites de France, qui compte 47 sites ; ce réseau permet de partager des expériences de terrain et d’échanger des savoir-faire, à propos de lieux particulièrement connus et visités par les touristes. Tous ces sites ont en commun de rechercher des moyens innovants pour assurer un accueil de qualité tout en respectant l'esprit du lieu, et de générer un impact positif sur les communes environnantes.
Pont-Croix a également rejoint le réseau européen des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, l’un des plus importants itinéraires culturels promus par le Conseil de l’Europe, dont une partie est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Grâce aux travaux menés avec les associations locales, Pont-Croix a ainsi été reconnue comme un point de départ important du pèlerinage, parmi les ports de l'extrême ouest en Europe.
Récemment, en 2019, Pont-Croix a été sélectionnée pour participer à l’émission de télévision « Le village préféré des Français » au cours de laquelle les téléspectateurs votent pour le village dont ils apprécient le plus les valeurs culturelles et naturelles, matérielles et immatérielles, ainsi que pour la qualité de vie qu'il incarne. La commune a été élue deuxième village préféré des téléspectateurs, et a rejoint ainsi un réseau national mis en place en 2012, bénéficiant ainsi des annonces et publications télévisuelles sur ces sujets.
Parallèlement à ces actions, le maire et son équipe ont pris des mesures pour revitaliser et redynamiser le centre historique. En effet, Pont-Croix aura d’autant plus d’impact dans les réseaux si celui-ci est actif, vivant et agréable à vivre. L’opération la plus remarquable et la plus efficace a consisté à réhabiliter en centre-ville le Petit Séminaire, un vaste édifice religieux du XIXème siècle de près de 10.000 m2 laissé à l'abandon.
De nombreux habitants souhaitaient sa démolition arguant de son mauvais état et de son architecture éloignée de celles des petits bâtiments du cœur de Pont-Croix. Considérant, l'opportunité offerte par une telle surface de plancher en centre-ville permettant d’accueillir de nouveaux équipements et activités et d'éviter ainsi leur dispersion en périphérie, considérant le souci actuel de respecter toute l'histoire des lieux, des plus anciennes traces aux plus récentes et considérant qu'une démolition n'aurait pas été un geste écologique, le conseil municipal a opté pour une réhabilitation.
La première étape a consisté à chercher des financements publics et privés pour l’acquisition et la mise hors d'eau et hors d'air du bâtiment. Puis les surfaces de plancher disponibles ont été proposées pour l'installation de nouveaux équipements : une médiathèque, des commerces, un restaurant gastronomique et un centre médical privé. Le maire n'a pas hésité à refuser un permis de construire pour une maison médicale en périphérie de la ville. Il a convaincu les professionnels de santé de se regrouper au centre-ville, dans une aile du Petit Séminaire. Aujourd'hui plus d'une dizaine de professionnels de santé y sont installés, soit près du double que ce qui était prévu à l'origine. Une grande pharmacie s'est installée depuis, à proximité immédiate. Cette stratégie de revitalisation du centre ancien a fait preuve d’une efficacité remarquable.
Le maire a également pour projet d’accueillir un tiers-lieu, notamment un lieu de coworkation. Ce terme résulte de la contraction entre coworking et vacation, et désigne un lieu permettant de profiter de vacances tout en travaillant.
La revitalisation passe par la création de nouveaux emplois. Le développement actuel du télétravail, qui s'est fortement développé dans le contexte de la pandémie provoquée par la covid-19, a eu pour effet une migration des télétravailleurs vers les petites villes, soit pour une durée ponctuelle, soit définitivement. Nombre de familles avec de jeunes enfants cherchent à quitter des métropoles encombrées et polluées pour des petites villes plus agréables à vivre. Cette tendance constitue une opportunité à saisir pour les élus locaux de petites villes, riches d'un point de vue culturel et environnemental, qui souhaitent se développer tout en revalorisant et revitalisant leurs patrimoines.
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l'auteur
Alain Marinos
Délégué national des Petites Cités de caractère de France
Président honoraire de l’Association nationale des architectes des bâtiments de France -
à propos
Article issu d'une présentation dans le cadre du webinaire "Patrimoine, mise en valeur et revitalisation des territoires"