Véronique Veston se présente : architecte du patrimoine, elle est responsable du pôle Patrimoine pour AREP, agence d’architecture pluridisciplinaire, filiale du groupe ferroviaire SNCF. Un des axes de recherche du pôle Patrimoine est l’infrastructure ferroviaire en tant que maillage territorial en Europe et dans le monde, porteur des enjeux de valorisation et de préservation du patrimoine des gares. La présentation prend pour démonstrateur le patrimoine ferroviaire de la région Ile-de-France, dont le réseau ferroviaire est historiquement le plus dense du pays.
L’AREP a été fondée en 1997. Depuis plusieurs années, l’agence est engagée auprès des collectivités pour promouvoir la transformation et le développement durable des territoires. L’agence apporte des réponses simples et innovantes aux nouveaux enjeux de mobilités, avec pour action principale d’imaginer un futur post-carbone préservant patrimoine et environnement, pour une mobilité inclusive et durable. La transformation de l’existant et la valorisation patrimoniale forment un des socles méthodologiques de l’approche. Depuis 20 ans, l’AREP a de forts liens avec la Chine, avec laquelle elle partage les enjeux sur les mobilités et le patrimoine.
Les infrastructures en France dessinent un réseau de routes et de canaux construit au XVIII° siècle par un immense effort national qui permet au pays de se doter d’un maillage qui transforme considérablement les échanges et les identités régionales en réduisant les distances et en facilitant le transport des marchandises. Cette période marque le début de l’ère industrielle en Europe. En France, l’infrastructure routière et de canaux est alors très dense et très efficace, ce qui explique le léger retard de l’infrastructure ferroviaire, comparé à l’Angleterre. L’essor de la construction d’un réseau ferré est toutefois fulgurant dans le second quart du XIX° siècle. Le réseau se développe depuis Paris et innerve les territoires, transformant définitivement les mobilités et les usages. En effet, le chemin de fer accompagne toutes les mutations majeures de l’époque industrielle. Le rail diminue les distances et transforme le rapport au temps et à l’espace.
Le long du réseau ferroviaire se construisent une multitude de bâtiments et d’ouvrages d’arts : des gares, des passerelles, des abris, des halles, des dépôts, des ateliers ferroviaires qui par leur conservation sont devenus le patrimoine ferroviaire industriel d’aujourd’hui. Un patrimoine riche et varié qu’il est important d’appréhender dans sa globalité. Toutefois, aujourd’hui dans l’imaginaire populaire, le patrimoine ferroviaire français est encore principalement représenté par ses grandes gares emblématiques parisiennes. La connaissance de ce patrimoine monumental en tant que symbole de l’histoire de l’industrialisation est essentielle ; mais elle doit permettre d’ouvrir la réflexion sur le patrimoine ferroviaire des gares petites et moyennes comme maillage territorial.
Les grandes gares parisiennes s’inscrivent dans l’histoire comme les laboratoires des mobilités, elles déclinent dans le temps leurs principes et constituent un ensemble de 3000 gares construites en France et hors des frontières. Par exemple, la gare Saint-Lazare, première gare de voyageurs de France, est le point de départ du rayonnement de l’ingénierie française à travers le monde. Eugène Flachat, ingénieur, invente pour l’une de ses halles, un système de rivetage permettant l’assemblage de pièces métalliques ; ce système est repris par Gustave Eiffel pour la construction de sa célèbre tour. La gare Saint-Lazare, lieu d’innovation, participe également par sa place dans la ville à la modernisation du tissu urbain lors de la révolution industrielle. Cette modernité s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui alors que la gare est à nouveau un laboratoire urbain des mobilités et des services associés : son futur s’imagine comme celui d’un site ferroviaire qui répondra aux enjeux environnementaux.
Au XXI° siècle, il s’agit de s’interroger sur le patrimoine ferroviaire non plus comme un édifice emblématique mais aussi comme un élément au sein d’un maillage sériel. Les 3000 gares de France sont en effet construites selon des critères de standardisation et de série. Appréhender ce corpus dans sa globalité oblige à définir de nouvelles méthodes de recherche.
La région Ile-de-France est riche d’un maillage de moyennes et petites gares. Ce sont elles qui participent à l’identité ferroviaire de la région, qui relient et unissent les villes entre elles. Les gares ont évolué dans le temps et ce patrimoine a su s’adapter aux nouveaux modes de vie et au nombre grandissant de voyageurs, ce qui prouve sa forte résilience. Aujourd’hui, il comporte plus de 350 gares et représente une forte valeur patrimoniale dans le paysage urbain.
Tout d’abord, la maintenance constante de ce patrimoine par le service Gares&Connexions permet une longévité d’exception ; ce sont plus de 65% des édifices qui ont été édifiés avant 1945, avec des systèmes constructifs anciens qui exigent des méthodes de restauration et de réhabilitation adaptées. Pour ce faire, les architectes du patrimoine et les architectes d’AREP se mobilisent en s’appuyant sur le riche fond d’archives de la SNCF et sur des techniques de restauration explorées à chaque chantier. Chaque élément constructif est un défi : conservation des modénatures, des menuiseries, intégrité des structures pierre, béton, métal… De nouvelles méthodes d’analyse sont envisagées, pour considérer ce patrimoine sous les angles environnementaux. AREP a inventé l’approche EMC2B, Énergie, Matière, Climat, Carbone, Biodiversité. Le patrimoine est analysé au travers de ces catégories. En plus de 150 ans d’usage, le patrimoine ferroviaire a prouvé sa résilience. Par sa matière, il est une ressource vivante, naturellement performante. Mais le patrimoine ferroviaire peut aussi être support d’innovations, comme le montre la recherche de nouvelles sources d’énergie utilisant le photovoltaïque. Comment ce patrimoine ancien va réagir à ses changements ?
Toutes ces questions exigent une vision globale du patrimoine ferroviaire afin d’améliorer les actions de conservation et de transformation des gares qui sont sujettes à de très nombreuses interventions. La connaissance de ce patrimoine ferroviaire sériel est un axe de recherche du Pôle Patrimoine qui a ainsi cartographié les 384 gares d’Ile-de-France pour faire émerger ses caractéristiques, ses séries, ses familles constructives et l’évolution de ce réseau dans le temps. L’utilisation du Système d’Information Géographique a permis de créer un ensemble de datas et de cartographier les nombreuses informations sur le patrimoine ferroviaire des gares d’Ile-de-France telles que sa datation, son appartenance à des familles ou à des typologies. Cette méthode s’adapte à une lecture en réseau d’un corpus bâti ferroviaire afin d’apporter une nouvelle lecture de ce patrimoine qui soit adaptée aux enjeux des régions. Ainsi, la gare construite au XIX° siècle s’est transformée pour accueillir de nouveaux programmes qui ont aussi pour objectif de dynamisent les territoires. En Ile-de-France, le projet « Challenge gares de demain » met en relation des édifices avec un programme, pour faciliter la mise à disposition d’une partie des locaux à des entrepreneurs ou à des associations.
Quant au travail de cartographie, depuis 2018, il a permis la reconnaissance de ce patrimoine de petites et moyennes gares, grâce à une action conjointe avec la Région Ile-de-France et au label « Patrimoine d’intérêt régional ». En effet, celui-ci a pour objectif de valoriser un patrimoine qui permet de faire connaître les multiples facettes de l’Île-de-France, en s’appuyant sur la dynamique économique du tourisme que le patrimoine engendre. En 2021, ce sont plus de 20 gares qui sont désormais labellisées.
Pour conclure, nous avons vu combien les gares d’Île-de-France laissent une empreinte forte dans le paysage et forment un maillage territorial identitaire qui accompagne les voyageurs, les touristes et la population locale. Chaque gare existe au sein d’un quartier, d’une ville dont elle est un emblème, dessinant l’histoire commune de la région Île-de-France mais aussi comme élément d’une même série constructive de gares. L’ensemble des actions entreprises aujourd’hui sur ce patrimoine d’Ile-de-France représente un laboratoire, où il est toujours possible d’expérimenter et dont les effets positifs peuvent être étendus à l’ensemble du patrimoine ferroviaire.
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l'auteur
Véronique Veston
Architecte du patrimoine, responsable du pole patrimoine, AREP -
à propos
Article issu d'une présentation dans le cadre du webinaire "Patrimoine, mise en valeur et revitalisation des territoires"