Eleonora Berti a travaillé pendant dix ans sur les Itinéraires culturels auprès du Conseil de l’Europe et qu’elle est aujourd’hui sur le terrain, pour la « Destination Napoléon », un Itinéraire Culturel du Conseil de l'Europe. Elle intervient comme experte pour une stratégie nationale italienne, destinée à mettre en valeur les itinéraires culturels comme vecteurs du développement durable.
Les Itinéraires culturels du Conseil de l’Europe, dont Saint-Jacques-de-Compostelle est l’initiative la plus connue, ont déjà été évoqués à plusieurs reprises. Il s’agit du meilleur exemple d’implication et d’engagement des collectivités locales des pays européens dans la mise en valeur de leur patrimoine, et de leur patrimoine commun, au-delà des frontières. Ces itinéraires sont également la preuve que la coopération culturelle engendre un développement socioéconomique et touristique durable, cohérent avec les ressources du territoire, et respectueux des besoins des populations locales.
Le programme a été lancé en 1987, avec la certification du premier Itinéraire : Saint-Jacques-de-Compostelle. Par la suite, l’Institut européen des Itinéraires culturels a été installé au Luxembourg. En 2013, des critères de résolution ont été créés pour établir les certifications. Plusieurs pays européens adhèrent de façon volontaire au budget de l’accord afin de gérer le programme au quotidien. En 2021, ce sont 45 Itinéraires culturels qui ont été certifiés par le Conseil de l’Europe (qui regroupe 47 pays membres) sur les thématiques les plus diverses : routes de pèlerinage, routes historiques, routes consacrées à des styles architecturaux ou réseaux de villes caractérisées par des éléments communs, par exemple, la route historique des villes thermales.
Qu’est-ce qu’un Itinéraire culturel ?
Les Itinéraires culturels sont des biens culturels complexes, puisqu’ils n’engagent pas un seul site, mais mettent en jeu des relations d’interdépendance et de synergie. Le Conseil de l’Europe définit l’Itinéraire culturel en tant que projet de coopération. La démarche est donc évolutive, et suppose une stratégie de planification. Plusieurs échelles sont engagées dans le cadre du programme : l’échelle internationale, l’échelle nationale, l’échelle régionale et l’échelle locale. Chaque niveau est interdépendant de l’ensemble de la chaîne.
Les Itinéraires ont pour objectif de transmettre et de promouvoir les valeurs fondamentales portées par le Conseil de l’Europe, la démocratie participative, les respects des droits de l’Homme, et le dialogue interculturel et interreligieux. Les champs d’action prioritaires sont la coopération entre chercheurs, puisque la certification repose sur un fondement scientifique, le renforcement de la mémoire historique européenne, les échanges culturels avec les jeunes, la pratique artistique, et le développement touristique et culturel durable.
Les Itinéraires culturels ont permis le développement des territoires, et notamment celui des petites entreprises. Ils contribuent également au développement culturel durable en s’appuyant sur les compétences locales et en promouvant des régions moins connues. L’une des dimensions la plus importante est le processus de coopération entre les pays : la même thématique trouve des déclinaisons différentes à travers des territoires différents, et chacune de ces thématiques est personnalisée par le pays traversé.
Les Itinéraires permettent de réinterpréter les traditions, l'art, le patrimoine, et d'encourager des activités et des projets artistiques qui explorent les liens entre patrimoine et culture contemporaine, mettant en évidence les pratiques les plus innovantes en termes de créativité, dans les pratiques culturelles et artistiques contemporaines, notamment en ce qui concerne l’instruction des jeunes Européens dans les domaines concernés. À cet égard, le lien entre les Itinéraires culturels et les institutions éducatives est bien établi et les projets communs destinés à rapprocher le patrimoine des enfants et des jeunes, à les inciter à le découvrir et à en tirer des leçons sont aussi encouragés.
Les Itinéraires culturels ont montré leur énorme potentiel pour les industries culturelles et créatives, ainsi que pour le développement des petites entreprises, le regroupement et la promotion de l'image de l'Europe en général. Ils peuvent également contribuer au développement culturel durable en particulier à l’échelle locale, en s'appuyant sur les connaissances et les compétences locales et en promouvant des régions moins connues. 90% des itinéraires culturels traversent des zones rurales et des destinations lointaines du tourisme de masse, aujourd’hui perçues comme destinations plus sûres.
Dans le même temps, les Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe sont indissociables du tourisme, qui offre la possibilité d'un voyage physique et spatial à travers l'Europe et représente l'outil pour découvrir cette richesse. Voyager le long des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe est essentiel pour parvenir à une compréhension approfondie de notre patrimoine culturel européen commun et pour embrasser les valeurs les plus fondamentales du Conseil de l'Europe, sur lesquelles notre société s'est développée. Ces valeurs sont les droits de l'homme, la démocratie culturelle et la diversité, les échanges et la compréhension mutuels.
Le processus de coopération entre différents pays constitue l'une des dimensions les plus importantes du programme: un même thème fondamental peut se retrouver sous différentes formes, à travers le continent européen et au-delà, façonné par les caractéristiques géographiques ainsi que culturelles, historiques et naturelles des pays traversés et impliqués dans chaque itinéraire. Nous allons voir deux exemples d’Itinéraires.
L’Itinéraire Via Francegina
La Via Francigena, certifiée en 1994, implique quatre pays européens : Royaume-Uni, France, Suisse, et Italie. L’association portant l’Itinéraire est basée en Italie ; ses membres sont les représentants des parcs naturels, et des autorités locales et régionales concernés. Cette voie historique a été redécouverte grâce à l’engagement du Comité scientifique de l’itinéraire, mise en sécurité et balisée grâce aux autorités régionales qui ont, dans certains cas, élaboré des plans stratégiques et de développement qui prennent en compte l’Itinéraire (Master Plan de la Région Toscane et de la Région Latium).
Tout au long du chemin, le voyageur a la possibilité de rencontrer les populations locales, en échangeant avec les habitants des territoires, de découvrir le patrimoine bâti, ainsi que les produits de la tradition gastronomique, qui ont souvent un lien avec cette Route historique.
Ainsi, « la sacoche du pèlerin" est une initiative visant à retracer un lien entre itinéraire et produits du terroir. C’est une marque déposée qui signale un patrimoine gastronomique, partie intégrante du patrimoine culturel. Cette initiative est également une incitation à la consommation consciente des produits du territoire, avec par exemple, la redécouverte de recettes traditionnelles.
Une autre initiative vise à impliquer les habitants des territoires traversés et s’intitule « I love Francigena ». Il s’agit de rendez-vous et de promenades organisés sur les tracés par l’Association Européenne responsable de l’Itinéraire, qui s’adressent aux populations locales et ont pour objectifs de vérifier l’état du tracé, du balisage et des infrastructures.
L’Itinéraire Destination Napoléon, un ensemble complexe
L’Itinéraire Destination Napoléon, certifié en 2015, est porté par la Fédération Européenne des Cités Napoléoniennes. Il rassemble presque 60 villes dans 13 pays du Conseil de l’Europe.
Napoléon est la personnalité européenne la plus connue au monde et est à l’origine de 3 millions de visites annuelles dans les musées européens qui lui sont consacrés. Cet itinéraire ne comprend pas de route physique. Il s’agit d’un itinéraire virtuel, et les différents lieux sont connectés par une thématique. Pour ce faire, la première action nécessaire à la mise en place d’un Itinéraire culturel thématique est l’adoption d’un balisage commun.
Depuis la certification, beaucoup d’initiatives ont été menées. 2018 a été l’année européenne du tourisme chinois. Le président du Conseil de l’Europe a participé à des foires touristiques dans des villes chinoises. Cela fut l’occasion de présenter les itinéraires en-dehors de l’Europe, et de présenter les différentes destinations comme parties intégrantes d’un réseau. Par exemple, Paris sera visitée pour son patrimoine napoléonien, et en ce sens, elle sera liée à d’autres villes européennes.
La coopération entre territoires différents est un élément constitutif des Itinéraires et d’une grande richesse, en terme d’apprentissage mutuel et d’échange de pratiques. Or, la thématique napoléonienne est parfois perçue comme dissonante, car dans certains pays la mémoire de Napoléon renvoie à des moments sombres de l’histoire. C’est le cas de l’Espagne et du Portugal, qui ont toujours perçu Napoléon comme envahisseur et despote. L’Itinéraire a donné l’opportunité à ces pays de travailler sur leur passé à travers un projet financé par l’Union Européenne et visant à redécouvrir des parcours transfrontaliers entre Portugal et Espagne, liés à l’histoire napoléonienne. Cela a permis de mieux comprendre ces pages de l’histoire et de les raconter sur le terrain, à travers le balisage et les activités proposées par les membres du réseau.
En 2021, la commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon a permis d’avoir plus de visibilité encore. La Fédération a proposé des webinaires centrés sur des thématiques actuelles, en invitant les villes et les musées à présenter leurs démarches de terrain. Une exposition intitulée « L’Empire en Playmobil », actuellement en Belgique, démontre l’efficacité de l’utilisation d’outils ludiques dans la transmission historique
Pour conclure, les Itinéraires culturels vont donc au-delà d’une vision centrée sur un unique site patrimonial à protéger. Ils encouragent une vision en réseau, un partage des pratiques, et l’accessibilité à leur patrimoine pour les habitants et les visiteurs.
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l'auteur
Eleonora Berti
Experte du ministère italien de la Culture, directrice de la Fondation européenne des villes napoléoniennes -
à propos
Article issu d'une présentation dans le cadre du webinaire "Patrimoine, mise en valeur et revitalisation des territoires"