le Grand site de Bibracte, dans son mode de gestion, pose la question du paysage comme fondement du projet de territoire.
Bibracte est un haut lieu historique : une ville éphémère du Ier siècle avant J.-C. qui joua à plusieurs reprises un rôle déterminant durant l’un des plus anciens événements de l’histoire française, la Guerre des Gaules. Site archéologique majeur dès la fin du XIXe siècle, il a été négligé tout au long du XXe siècle. Le site est peu spectaculaire, puisqu’il s’agit d’une ville antique de 200 hectares fossilisée sous une forêt, et ceinturée par des remparts de cinq et de sept kilomètres. Il s’inscrit dans une région de moyenne montagne de grande qualité paysagère, le Morvan, située au centre de la France. Le Morvan a subi une chute spectaculaire de sa population au cours du siècle passé (-80%) et connaît aujourd’hui de grandes difficultés économiques.
La renaissance du site résulte en partie de l’intérêt que lui portait le François Mitterrand, qui avait été longtemps élu du territoire avant de devenir président de la République. En 1984, ce dernier décidait d’offrir l’opportunité à la communauté archéologique de développer un grand programme de recherche sur le site. La mise en valeur a donc démarré sous la forme d’un projet scientifique. Au fil des ans, il a intégré des ambitions culturelles et touristiques. Un outil de gestion, devenu établissement public, a été mis en place avec la mission d’assurer la maîtrise foncière du site, de construire un centre de recherche et un musée, d’animer un programme de recherche archéologique musée et de développer une offre pour le grand public. L’établissement public est donc en charge de toute une chaîne opératoire patrimoniale. Dit autrement, on peut considérer qu’il assure pleinement la gestion intégrée du site.
La question du paysage s’est imposée en plusieurs étapes à Bibracte. C’est d’abord l’architecte missionné pour construire les équipements qui a exploité de façon virtuose les ressources du paysage. Les compétences d’un architecte paysagiste se sont ensuite imposées pour la mise en valeur du parc archéologique et du parcours de visite. Progressivement, la notion de paysage est donc devenue structurante dans la conception des projets.
Une étape suivante a été la mise en place d’un plan de gestion paysagère à long terme (un siècle). Ce plan s’est avéré être un outil efficace pour construire une vision partagée de l’avenir du site avec l’ensemble des parties prenantes de sa gestion, notamment avec les services de l’État (tutelles au titre des Monuments historiques et des Sites classés).
Enfin, un projet de territoire est actuellement développé dans la cadre de la démarche Grand Site de France. Il poste sur une superficie de 420 km2, incluant une douzaine de villages et une population d’environ 4 000 habitants. La définition de ce projet s’appuie principalement sur des considérations paysagères. Son objectif premier est de préserver l’« écrin paysager » du site de Bibracte. Le projet a également des ambitions en matière d’économie résidentielle, par l’accroissement de la fréquentation touristique et l’attraction de nouveaux habitants, tout en ayant le souci de contrôler strictement le développement du tourisme afin de ne pas dégrader le paysage et préserver le bien-être des habitants.
Le projet ambitionne également d’investir la question des activités agricoles et forestières, qui est déterminante en matière de qualité paysagère, avec des enjeux amplifiés par la crise climatique. L’accompagnement de ces deux filières fait donc partie des actions prioritaires.
On peut donc considérer que la méthode du projet est la démarche paysagère. C’est une réflexion partagée sur le devenir d’un paysage qui permet de mobiliser l’ensemble des parties prenantes et de développer une vision de long terme. Cette méthode a également un caractère expérimental, en se donnant le droit à l’erreur, à condition de rendre compte à l’ensemble des parties prenantes des succès et des échecs, en vue d’ajuster en permanence la stratégie d’action. Enfin, le projet a le souci d’investir un territoire qui demeure à échelle humaine pour intégrer la totalité des habitants, y compris les « invisibles » qui sont souvent le moteur de toute l’économie touristique.
Au final, Bibracte porte témoignage d’un espace patrimonial où un programme scientifique initial a donné naissance par étapes à un projet de gestion intégrée, avant d’évoluer aujourd’hui vers un projet expérimental de territoire fondé sur la valeur holistique de la notion de paysage.
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l'auteur
Vincent Guichard
Directeur du Grand site de Bibracte -
à propos
Article issu d'une présentation dans le cadre du webinaire "Patrimoine, mise en valeur et revitalisation des territoires"