N° 14, décembre 1999 - Jean Bossu
Éditorial
L'insolente liberté de Jean Bossu
Voici une publication atypique, qui montre cinquante années de la démarche d'un professionnel qui ne s'arrête jamais sur une formule, qui ne campe jamais sur des conventions, ni sur une approche dogmatique. Collaborateur très engagé de Le Corbusier, de Perret, de Lurçat, mais ensuite plongé, à Ghardaïa puis en Vendée, dans l'étude stimulante des architectures vernaculaires et de lieux fortement habités, Jean Bossu trouve dans la réalité des choses construites le point d'appui pour tenir ce qui est, me semble-t-il, le discours de l'insolence : la modernité est une constante invention.
La redécouverte des études menées au début des années trente montre des projets déjà peu conformistes, qui s'écartent bien vite des exercices de style pour afficher une problématique de programmes complexes, où le dispositif de la structure est mis à profit pour sa disponibilité (Centre régional pour étudiants). Le chantier de la reconstruction de la ferme Quesnel, au Bosquel, confirme cette combinaison d'une structure rationnelle, l'économie que procure une ossature, avec la souplesse d'un agencement pratique né de l'observation de la vie des hommes et des femmes, dans les lieux du travail comme dans l'espace domestique.
Dans ses premiers travaux personnels, en Vendée, puis à la Réunion, l'affirmation du système constructif de refends porteurs en maçonnerie associés à une poutraison de béton armé, est une interprétation personnelle des recherches de la préfabrication, qui dominent alors ; en découle une trame large, donnée de base de tous les projets du moment ; à la Réunion, ses constructions font une bonne place à d'efficaces dispositifs de ventilation et de protection thermique.
Le chantier de la reconstruction d'El Asnam (ex-Orléansville) en Algérie — dont les constructions ont été ravagées par le séisme de 1980 — démontre cette capacité à s'investir dans les données régionales. Elle implique une forte disponibilité intellectuelle, et une éthique dans la volonté de compréhension des autres. Construit à la veille de l'indépendance de l'Algérie, le marché de Saint-Réparatus répond avec acuité au problème d'une modernité revisitée par l'attention aux modes d'existence de l'espace public urbain au Maghreb : avec ses rues suspendues, son portique, ses habitations à terrasse combinées avec des boutiques, ses élévations construites pour former la substance primitive d'un décor, le projet d'architecture se confond avec le projet d'un quartier, avec son échelle, ses lieux et ses figures, dans une approche sans schématisme, mais qui affirme cependant l'unité, matérielle et figurative, de la construction. Jean Bossu, vingt ans avant les approches de la morpho-typologie, ne transige pas avec le programme et ses données locales, sans pour autant s'écarter d'une ligne constructive, source d'une subtile esthétique modulaire. Il justifie, quarante ans à l'avance, les propos de Henri Gaudin : « L'architecture, ce n'est pas une affaire d'objets solitaires, d'héroïsme, de subjectivité. Il s'agit pour nous d'inventer une modernité qui soit fondée sur de nouveaux mélanges, de nouvelles façons de croiser les choses. Qu'on appelle ça tresses, fibres, réseaux, structures, textures, peu importe ! La ville, c'est ça. Je n'emploie même pas les mots rue, place, tous ces termes traditionnels ; je n'emploie pas ce langage traditionnel parce qu'il faut réinventer d'autres formes1. »
La publication, qui nous permet d'accéder à la production, peu connue, de Jean Bossu dans l'Algérie indépendante, où se concentrent ses dernières constructions majeures, s'achève par des projets, restés, après la crise de 1973, sans commanditaires. Elle nous permet de prendre la bonne mesure de la fameuse proposition de l'Artère résidentielle, publiée en 1967, dont nous voyons mieux aujourd'hui la place et la portée dans la poussée des innovations typologiques du moment. À côté des « architectures proliférantes », dont elle est contemporaine, la proposition de Bossu donne à la fois une puissante synthèse des capacités constructives qu'il maîtrise et une somme de pistes sur l'architecture urbaine, sur l'espace public, sur les initiatives à laisser aux habitants. L'invention de ce qu'il faut nommer le « type 3 », distinct de la rue, est celle d'un lieu urbain entre deux espaces habités, une proposition où Bossu croise l'étonnant dispositif architectural identique qu'Oscar Niemeyer réalise au début des années soixante pour l'université de Brasilia. Jean Bossu y annonce, dans les formes d'une étude utopique, « le dépassement de la contradiction entre architecture et ville [qui] ne peut s'expliquer qu'à travers la mécanique du système de la typologie des édifices dans la ville », selon une analyse que Bernard Huet fera en 19862. C'est bien au terme d'une insolente intuition que Jean Bossu s'engage dans cette démarche typologique exceptionnelle, qui met sa marque dans le territoire de la doctrine.
Gérard Monnier
Sommaire
3 Institut français d'architecture : Robert Auzelle : une démarche, des archives, une exposition
3 Conseil international des archives : Séville 2000, vers une Section des archives d'architecture
4 Centre des archives du monde du travail : Nouveaux fonds d'archives reçus
6 "Tri, sélection, conservation : les choix du patrimoine", colloque à l'École nationale du patrimoine, juin 1999
8 Institut français d'architecture : Les archives de Georges Candilis
9 Archives départementales des Bouches-du-Rhône : André Dunoyer de Segonzac
9 Archives modernes d'architecture en Bretagne : Exposition Jean Fauny
JEAN BOSSU
10 L'insolente liberté de Jean Bossu
Par Gérard Monnier
12 Le coup de fusil et le coup de chapeau
Par Alain Borie
14 Jean Bossu (1912-1983)
Par Xavier Dousson
29 Les archives de Jean Bossu
En encart au centre du numéro, tableau synoptique des projets de Jean Bossu
Fiche technique
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