Le Caire
Portrait de ville
Si de nombreux monuments témoignent de sa longue histoire, Le Caire est aujourd’hui une métropole multipolaire de 19 millions d'habitants, dont la majorité du bâti date du XIXe et du XXe siècle. Les auteurs, architectes et chercheurs au laboratoire InVisu, retracent la généalogie des formes urbaines du Caire, des premières installations (Memphis, Héliopolis, Babylone d’Égypte) dans l’Antiquité aux extensions récentes, en passant par la ville arabo-islamique, les quartiers XIXe inspirés d’Haussmann et des villes nouvelles des années 1970, installées dans le désert pour préserver les terres cultivables. Une guide de promenades architecturales complète l’ouvrage.
Sommaire
• Préface
• La mue d'une mégapole à l'aube du XXIe siècle
• La cité historique
• L'avènement de la ville moderne, à partir de 1860
• L'explosion suburbaine du premier XXe siècle et le renouveau urbain (1910-1960)
• Démesure métropolitaine et requalifications (1970-2011)
• Promenades au Caire
Préface
Par Gwenaël Querrien
Lorsqu’on évoque Le Caire, on visualise aussitôt les pyramides de Gîza et la ville islamique - deux ensembles inscrits depuis 1979 au Patrimoine mondial -, et bien sûr le Nil. Les récents événements du “printemps arabe” ont fait surgir un nouveau symbole du Caire : la place Tahrîr remplie de manifestants réclamant la fin du régime Moubarak, effective le 11 février 2011. Elle n’a jamais vraiment désempli depuis et les protestataires l’ont réinvestie massivement depuis début novembre, exigeant le départ des militaires au pouvoir en principe jusqu’au résultat des élections1.
Le Caire est l’héritière d’une longue histoire fascinante dont témoignent ses nombreux monuments, même si la grande majorité du bâti actuel est du XIXe ou du XXe siècle, y compris dans la ville historique. Capitale politique et économique de l’Égypte moderne (82 M hab.), elle est aussi la plus grande agglomération du continent africain (talonnée par Lagos) avec environ 19 millions d’habitants, soit 43 % de la population urbaine du pays, sur 1.300 km2 bâtis au sein d’une aire métropolitaine d’environ 4.300 km2, inscrite sur trois gouvernorats2 qui couvrent au total 15.300 km2.
La plupart des grandes villes du monde sont situées au bord des fleuves, sur leurs vallées fertiles, à la croisée de routes commerciales terre / eau. Le Caire n’échappe pas à la règle et l’implantation au sommet du delta du Nil de la ville-capitale de l’Égypte remonte à l’Antiquité. Au fil de l’histoire, l’emplacement a légèrement fluctué du sud vers le nord, depuis Memphis, première capitale de l’ancienne Égypte, jusqu’à al-Qâhira, fondée en 969, aujourd’hui la ville historique. Peu à peu les différents noyaux urbains se sont rejoints et Le Caire s’est étirée dans toutes les directions jusqu’à devenir une mégapole multipolaire d’une soixantaine de kilomètres d’est en ouest3, après avoir investi les îles, franchi le fleuve et gagné la rive gauche dès le début XXe.
L’Égypte étant constituée de 95 % de désert, les trois quarts de ses villes sont situées sur l’axe sud-nord de la vallée du Nil, son unique plaine fertile. Le quart restant est réparti sur la côte méditerranéenne, le canal de Suez ou les bords de la mer Rouge, outre quelques oasis. C’est dire la dépendance de l’Égypte au Nil4, alors même que le fleuve traverse plusieurs autres pays avant d’y pénétrer par le sud pour aller se jeter dans la Méditerranée tout au nord. La question de l’eau risque donc de générer des tensions dans cette région du monde (comme dans d’autres, Chine / Tibet par exemple), d’autant que l’Afrique connaît le plus fort taux de croissance de population de la planète et a donc des besoins grandissants.
Aujourd’hui, Le Caire doit faire face au problème de l’étalement urbain, comme toutes les grandes métropoles, mais avec une acuité particulière compte tenu du manque de terres cultivables du pays. Pour ne pas les gaspiller, il a donc fallu construire dans le désert, ce qui fut fait dès le premier XXe siècle à Héliopolis, sous la houlette du baron Empain. La même idée a présidé à la politique des villes nouvelles lancée en 1977 par le président Sadate, laquelle a connu un succès très mitigé, faute d’avoir pu mettre en place les transports publics indispensables. Plus récemment, le désengagement complet de l’État, qui a vendu ces dix dernières années plus de 100 km2 de désert - à l’est comme à l’ouest de la vallée du Nil - à quelque 320 promoteurs privés, leur déléguant la construction des nouveaux secteurs d’habitat (new settlements), a eu pour résultat de renforcer la ségrégation sociale et spatiale, les investisseurs s’intéressant de préférence à la clientèle aisée. Ont ainsi fleuri dans le désert des gated communities assorties de terrains de golf et de piscines, ainsi que des malls regroupant commerces, cinémas et autres activités de loisirs, le tout inspiré du modèle américain et d’un de ses avatars, Dubaï. Le corollaire a été un développement sans précédent, y compris sur les terres cultivables, des constructions illégales, dites informelles, qui constituent plus de 60 % de l’ensemble des constructions du Caire.
Outre qu’ils génèrent un fort gaspillage d’énergie et d’eau, ces compounds dans le désert (la préoccupation du développement durable ne se fait jour que depuis peu en Égypte) sont aussi la cause d’une désaffection du centre-ville qui s’est peu à peu vidé et dégradé. Heureusement, la tendance s’inverse et la réhabilitation des quartiers denses du centre, au-delà de chantiers de restauration dans Le Caire historique, est à l’ordre du jour. Reste à savoir ce que les bouleversements politiques en cours, nécessairement assortis d’une période économique difficile, engendreront.
1 – Les législatives sont en cours et la présidentielle prévue en juin 2012. Les manifestations ont fait de nombreux blessés et des morts (plus de 40 en novembre).
2 – Les gouvernorats du Caire (comprenant la région d’Helwan), de Giza (incluant 6-Octobre) et de Qalyubiyya. L’Égypte est divisée en 27 gouvernorats, équivalents des départements en France. Cf. rapport du Sénat du 9/6/2011 sur les "Villes du futur", basé (pour Le Caire) sur les travaux d’É. Denis, P.-A. Barthel, A. Deboulet et G. el Kadi.
3 – En 30 ans, la ville a doublé sa superficie. De 1995 à 2007, elle a grandi de 110 km2 (Paris intra-muros s’étend sur 105 km2) sur les plateaux désertiques, et de 55 km2 supplémentaires, du fait des constructions illégales, sur les terres agricoles de la vallée. Cf. Pierre-Arnaud Barthel, Newsletter n° 13 (1/1-28/2/2011) du pôle Ville et développement durable du CEDEJ.
4 – D’une longueur totale de 6.800 km, le Nil est constitué de deux bras dans sa partie amont : le Nil blanc prenant sa source au Rwanda et le Nil bleu en Éthiopie.